Niveau 3

Découvrons l'emblème Sur Occasion

In Occasionem

Occasion 1534

Lysippi hoc opus est, Sycion cui patria ; tu quis ?

Cuncta domans capti temporis articulus.

Cur pinnis stas ? usque rotor ; talaria plantis

Cur retines ? passim me leuis aura rapit.

In dextra est tenuis dic unde nouacula ? acutum

Omni acie hoc signum me magis esse docet.

Cur in fronte coma ? occurrens ut prendar ; at heus tu

Dic cur pars calua est posterior capitis ?

Me semel alipedem si quis permittat abire,

Ne possim apprenso postmodo crine capi.

Tali opifex nos arte, tui causa, edidit, hospes,

Vtque omnes moneam, pergula aperta tenet.

  • Le premier vers présente Occasion, dont il est question dans la suite du poème, comme une « œuvre de Lysippe ». Faites une rapide recherche : qui était Lysippe ? Qu'est-ce que l'image est donc censée évoquer ? Le fait-elle de manière évidente à votre sens ?
  • Comment appelle-t-on un texte littéraire qui décrit une œuvre d'art ? Plusieurs emblèmes d'Alciat sont sur ce modèle, décrivant notamment des statues : « Sur la statue de Bacchus » (In statuam Bacchi), « Sur la représentation de l’Espérance » (In simulachrum Spei), «  Sur la statue d'Amour  » (In statuam Amoris). Regardez la gravure qui accompagne ce dernier emblème dans l'édition parisienne de 1534. Que pouvez-vous remarquer, quant au mode de figuration choisi ?
Sur La Statue D'amour
Sur la statue d'amour, Paris, Ch. Wechel, 1534, p. 102
  • Regardez la gravure. Quels sont les différents attributs représentés autour d'Occasio ? Pouvez-vous les mettre en relation avec certains termes latins du poème ?
  • Comparez ces gravures de quatre éditions différentes des Emblèmes d'Alciat. Quelles ressemblances et quelles différences voyez-vous entre elles ? Qu'en pensez-vous en terme de proximité avec le poème ?

Aux sources de l'emblème

Pour vous aider à comprendre le poème de l'emblème, il peut être utile de lire l'épigramme grecque dont elle est une adaptation. Il s'agit de l'épigramme 275 de l’Anthologie de Planude pour l’édition latine partielle de cette anthologie publiée à Bâle par Cornarius en 1529. En voici la traduction :

De Posidippe

Qui est le sculpteur ? D’où est-il ? – Sicyonien – Et son nom ? Lysippe – Et toi, qui es-tu ? – L’Occasion, qui mène le monde. – Pourquoi marches-tu sur les pointes ? – Je vais toujours courant. – Pourquoi as-tu des talonnières à chaque pied ? – Je vole comme le vent. – Pourquoi as-tu dans ta main droite un rasoir ? – Pour apprendre aux hommes que l’instant propice est plus aigu que la plus fine lame. – Mais pourquoi ta chevelure est-elle ramenée par devant ? – Pour qu’elle soit saisie par qui vient à sa rencontre. – Par Zeus, pourquoi es-tu chauve par derrière ? – Pour que, quand une fois mon vol rapide m’a emporté, personne, le voulût-il, ne puisse plus me saisir par derrière. – Pourquoi l’artiste te modela-t-il ? – C’est à votre intention, étranger, et pour vous instruire qu’il m’a placé dans ce vestibule.

En effet, le premier recueil des Emblèmes d'Alciat renferme un nombre important d’épigrammes adaptées de l’Anthologie de Planude, redécouverte au Quattrocento. Alciat les avait écrites pour participer à l’anthologie publiée par Cornarius, et à laquelle ont collaboré d’autres grands noms de l’humanisme. Beaucoup de ces épigrammes sont descriptives, et se présentent plus particulièrement comme des épigrammes ekphrastiques : elles décrivent des œuvres d’art, souvent sous une forme dialoguée entre l’œuvre d’art supposée et un passant venu d’ailleurs (l’hospes du dernier distique), qui en ignore tout et constitue ainsi une figure du lecteur. Barthélemy Aneau, dans les éditions des emblèmes où il qualifie d’un point de vue rhétorique certaines épigrammes, ajoute à cet emblème la mention « dialogisme ».

Fortune Corrozet 1540
G. Corrozet, Hecatomgraphie,
Paris, D. Janot, 1540

Cette épigramme est particulièrement connue et appréciée à la Renaissance. Érasme en donne une traduction « improvisée », à l’usage des lecteurs ignorant le grec, dans l’adage 670 Nosce tempus (« Reconnais le moment opportun »)1. Les représentations figurées d’Occasion – rapprochée de Fortune – sont légion à la Renaissance. Voyez par exemple la gravure de l'emblème «  Fortune  » , qui figure dans l'Hecatomgraphie de Gilles Corrozet, un livre d'emblèmes en français publié en 1540. Dans cet emblème, la gravure, qui représente Fortune, paraît avoir récupéré plusieurs des attributs d'Occasion chez Alciat. Voici l'un des deux poèmes de Corrozet qui accompagnent la gravure. Lui aussi suggère ce transfert.

DY moy (fortune) à quelle fin tu tiens

Ce mast rompu duquel tu te soustiens?

Et pourquoy c’est aussi que tu es paincte

Dessus la mer, de ce long voille sceincte?

Dy moy aussy pourquoy n’a quelle fin

Soubz tes piedz sont la boulle & le daulphin?

C’est pour monstrer mon instabilité

Et qu’en moy n’est aulcune seureté.

Tu voids ce mast rompu tout au travers,

Ce voille aussi soufflé des vents divers,

Dessoubz ung pied le daulphin parmy l’unde,

Soubz l’aultre pied l’instable boulle ronde,

Je suis ainsi sur mer à l’adventure.

Celluy qui donc a faict ma pourtraicture

Ne veult donner à entendre aultre chose

Que deffiance est dessoubz moy enclose,

Et que je suis de bon port incertaine

Pres de danger, de seureté loingtaine,

Comme en suspens de plorer ou de rire,

De bien, ou de mal, ainsi que la navire

Qui est sur mer des undes agitée,

Doubteuse en soy ou doibt estre portée

Doncq ce qu’on void en mon ymage vraye,

Deca & la sans seureté tournoye.

Confrontons texte et images

Si certains détails sont diversement rendus par la gravure selon les éditions, notamment la mention usque rotor – Occasion se tient tantôt sur une boule, tantôt sur une roue –, il y a de nombreuses constantes. Ainsi de l’arrière-plan marin, du nuage dans le ciel, ou encore du voile dont est drapé très partiellement Occasion remarquable par sa nudité. Le voile de 1531 apporte une note pudique à l’image. Ce n’est plus le cas dans les gravures ultérieures. On peut sans doute le rapprocher de la voile maritime gonflée par le vent, attribut de Fortune dans plusieurs emblèmes de la Renaissance.  Enfin, le sexe même d’Occasion est une question. Dans la plupart des éditions, c’est une personnification féminine, ce qui va bien avec la terminologie latine d’Occasion. Le personnage de l’édition padouane de 1621 est ambigu, avec un sexe féminin et une poitrine masculine, plus en accord avec le terme grec Καιρός (Kairos).

  1. Érasme de Rotterdam, Les Adages, dir. J.-Ch. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2011, vol. 1, p. 523-526.
Par Anne-Hélène Dollé
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