
Relations entre élèves
Découvrons ensemble deux Colloques de Cordier qui traitent des relations entre élèves, et des rapports de discipline qu'ils pouvaient entretenir entre eux.
Dans les écoles de la Renaissance, les élèves sont bien entendu encadrés et surveillés. Mais dans les institutions suisses où a travaillé Cordier, cette fonction est en partie assurée par les élèves eux-mêmes, souvent les plus âgés et sérieux. Il s'agit notamment du rôle de l'obseruator.
Nous retrouverons dans ces deux dialogues une mise en scène de ces rapports de discipline humoristique, l'élève réprimandé ayant plutôt tendance à voir son interlocuteur comme son camarade que comme son surveillant.
1. « Je plaisantais, croyez-moi » (Livre II, Colloque LVII)
La meilleure façon d'améliorer son latin, c'est de le pratiquer. Mais l'humour des élèves n'est pas toujours du goût de leurs camarades surveillants, les obseruatores. C'était une fonction dévolue pour un mois à des élèves qui s'étaient distingués par leur travail et leur sérieux, et qui exerçaient donc une sorte de surveillance de leurs camarades. Dans ce dialogue, les personnages ne sont pas identifiés par des prénoms, mais seulement par les termes obseruator (surveillant) et puer (enfant, jeune élève, sans doute ici plus jeune que l'obseruator, mais déjà plein d'esprit).

Illustration de Charlotte Giovanolla.
Personae : obseruator, puer
Obseruator : Tu nunquam studes ; quando eris doctus ?
Puer : Id fiet progressu temporis, Deo iuuante.
Ob. : Recte dicis ; sed interim laborandum tibi est.
P. : Atqui ego non sum arator.
Ob. : Etiam rides ? Quasi laborare idem sit quod arare.
P. : Scio non idem esse.
Ob. : Cur ergo sic respondisti ? nonne istud ridere est ?
P. : Et ridere non est malum, cum sit naturale omnibus hominibus.
Ob. : Pergin’ tu nugas dicere ?
P. : Quod dixi uerum est ; et uerum dicere non est nugari. Cur me immerito reprehendis ?
Ob. : Iure te arguo.
P. : Quo iure ?
Ob. : Quia non ignoras ridere pro irridere usitatum esse, et tamen sic accepisti quasi de risu sim loquutus.
P. : Si defendo causam meam, quid mali facio ?
Ob. : Pergis igitur esse pertinax ; profecto serio notaberis.
P. : Ne, quaeso, mihi irascaris, mi Martine.
Ob. : Non irascor, sed officium meum facio.
P. : Sed audi quaeso.
Ob. : Quid audiam tuas nugas ?
P. : Audi, inquam ; nihil mentiar.
Ob. : Dic breuiter : est mihi alibi negotium.
P. : In primis cum tu me admonuisti, non eram otiosus.
Ob. : Quid ergo ? Si nihil faciebas, nonne otiosus eras ?
P. : Non eram, pace tua dixerim.
Ob. : Qui potest istud fieri ?
P. : Dicam tibi, etsi tute melius hoc intelligis quam ego. Nihil faciebam, ut apparebat, sed tamen cogitabam aliquid boni.
Ob. : Declara istud mihi.
P. : Cum tu facis uersus, saepe meditaris diu, quasi sis otiosus : quamuis nunquam sis minus otiosus.
Ob. : Pro ista aetate nimis acutus es. Etiamsi tibi, ut ais, otiosus non eras, tamen qui te uiderent, possent aliter iudicare.
P. : At solus eram.
Ob. : Verum : sed poterant aliqui interuenire. Denique non fateris culpam ?
P. : Si qua fuit culpa, in eo fuit quod primo aspectu uidebar tibi esse in otio, cum re uera non essem.
Ob. : In eo nihil requiro. Sed de irrisione quid respondes ?
P. : Certe nihil dixi irridendi animo.
Ob. : Quo igitur ?
P. : Iocabar, crede mihi.
Ob. : Quorsum ?
P. : Vt paucis uerbis fabulando, aliquid ex te addiscerem.
Ob. : Non is sum a quo multa doceri queas.
P. : Immo tecum multum boni saepe didici.
Ob. : Quid tandem uis concludere ?
P. : Vt mihi ignoscas, quando, ut uides, malo animo nihil peccaui, quod equidem sciam.
Ob. : Age, ignosco, quia uideris mihi candidus, et apertus, neque adhuc uidi te mendacem esse.
P. : Ago tibi gratias, Martine suauissime.
Vous pouvez trouver une traduction de ce dialogue ici.
Exercice grammatical :
Gérondif et adjectif verbal
- Identifiez la forme laborandum. Quel est son emploi ? Réponse.
- En quoi pouvez vous rapprocher les formes irridendi et fabulando ? Réponse.
- En quoi ces deux formes diffèrent ? Réponse.
2. « Il ne faut pas toujours agir dans le plus strict respect des règles » (Livre I, Colloque XXXII)
Même lorsqu'ils ne sont pas surveillés, les élèves sont tenus de suivre les règles de leur établissement. Les élèves sont ainsi poussés à se surveiller entre eux même en dehors des cours. C'est ce que nous voyons dans ce dialogue entre un élève étourdi et son camarade peut-être un peu trop sérieux. Voici comment Cordier résume ce dialogue : Liber inuentus redditur suo domino. Summo iure non semper est agendum. Leges Scholasticae. Leges aequitate regendae. Causa sine periculo. Petitur gratiae relatio. Exemplum hic est charitatis. Si la traduction vous semble difficile, regardez la traduction ici.
Personae : Alardus, Balbus
Alardus : Nonne hic liber tuus est ?
Balbus : Ostende mihi ; agnosco meum. Vbi inuenisti ?
A. : In auditorio nostro.
B. : Ago tibi gratias, quod eum collegeris.
A. : Atqui nunc notandus esses, si summo iure uellem tecum agere.
B. : Quid ita ?
A. : Nescis leges nostras scholasticas ?
B. : Ipsae etiam leges cupiunt ut iure regantur.
A. : Quo iure reguntur leges nostrae ?
B. : Aequitate et praeceptoris arbitrio, nempe qui nobis eas priuatim condiderit ; praeterea non solet tam seuerus esse in eo quod uel negligentia uel obliuione peccatum est.
A. : Sic saepe expertus sum : sed quoquo modo paccaueris, dicenda erit causa coram obseruatore.
B. : Non timeo causam dicere ubi nihil est periculi.
A. : Taceo.
B. : Sed quaeso, quid opus est ut id sciat obseruator ? Hic enim Deus nihil offensus est.
A. : Age, celabo.
B. : Bene facies.
A. : Sed heus, memento par pari referre, si forte mihi acciderit aliquod delictum eiusmodi.
B. : Aequum bonum dicis : meminero.
Cliquez ici pour trouver une traduction de ce dialogue.
Aide à la traduction
- À quel mode correspondent les formes regantur et sciat ? Qu'est-ce qui explique la présence de ce mode ? Réponse
- De la même façon que pour l'exercice grammatical du premier texte, identifiez la forme notandus et expliquez son emploi. Réponse.
Pour conclure
Les maîtres de la Renaissance, tout en recourant encore aux châtiments corporels, ont souhaité jouer aussi sur d'autres ressorts, dans la lignée des traités d'éducation humanistes. Ils cherchent ainsi à éveiller le sens moral de leurs élèves ou à les stimuler par des récompenses.
Quoi qu'il en soit, les écoles de la Renaissance demeurent le cadre d'une première « disciplinarisation » du système scolaire. Elles exercent ainsi un contrôle plus important sur les élèves, qui passe par la multiplication des moyens de les discipliner, qui va jusqu'à l'autodiscipline entre pairs. Les punitions corporelles sont toujours présentes, ce qui explique l'angoisse de l'élève du premier dialogue devant le risque de se faire notare. De même, on voit dans le second texte que des pratiques comme la délation peuvent être encouragées (même si le praeceptor explique, aux dires mêmes des élèves, qu'un zèle trop important n'est pas nécessairement juste).
Enfin, Cordier nous montre ici, avec le sourire bienveillant et l'humour qui le caractérisent, comment les jeunes élèves cherchent à échapper aux remontrances de leurs camarades plus âgés et tentent de ménager des brèches dans le système.
Bibliographie
- ARIES, Philippe, L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime , Paris, Editions du Seuil, 1973.
- GARNOT, Benoît, Société, culture et genres de vie dans la France moderne. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1991.