Niveau 2

Nous commençons notre parcours chronologique avec des titres qui datent de la toute fin du XVe siècle ou du début du XVIe siècle, et qui partagent certaines caractéristiques : ils sont épurés, mais assez denses en informations, et ne contiennent pas de marque d'imprimeur (sorte de logo). En outre, ils utilisent parfois des caractères gothiques, dans certains cas en même temps que des caractères romains. Ces caractères gothiques vous sembleront peut-être difficiles à lire.

Un recueil factice d'œuvres multiples

Voici tout d'abord un recueil factice, c'est-à-dire un livre composé, à la demande de son possesseur, de plusieurs ouvrages imprimés de manière complètement indépendante les uns des autres mais réunis dans une même reliure. Chaque œuvre comporte d'ailleurs un ex-libris de Beatus Rhenanus (c'est ainsi qu'on appelle la mention du possesseur dans un livre). Les textes rassemblés dans ce recueil sont très divers, et certains comportent eux-mêmes plusieurs ouvrages. L’ex-libris situé au tout début du volume est daté de 1502 : le livre faisait donc partie de la bibliothèque de l'humaniste, avant même qu’il parte pour ses études à Paris. Cela nous indique aussi la précocité de certains de ses centres d’intérêt comme l’histoire de l’empire romain et de la Germanie, et les mouvements de réforme religieuse. Rassembler des ouvrages distincts en un recueil était une pratique courante afin de réduire le coût de la reliure, qui pouvait représenter une part substantielle du prix total d’un livre même pour les reliures les moins coûteuses. L’ouvrage est par ailleurs au format in-quarto, un format moyen, ce qui est cohérent avec un coût limité. Nous avons retenu dans ce livre trois pages de titre distinctes.

Un titre bien vide

Page de titre Claudien BHS K 814 a
Bibliothèque humaniste de Sélestat, K 814 b, ©BHS.

Claudiani opera, Œuvres de Claudien ; il s’agit du titre le plus court de notre échantillon, et le moins caractéristique. On peut aussi noter qu’il n’y a pas de marque d’imprimeur sur la page. L’extrême simplicité de ce titre n’est pas courante ; les informations que l’on pourrait y attendre sont fournies à la fin de l'ouvrage, dans le colophon, qui indique que l’ouvrage a été imprimé à Venise en 1495 par Giovanni Tacuino.

Un recueil d'œuvres sur la Germanie

Page de titre_recueil de textes_BHS K 814 b

Hic subnotata continentur.

Vita M. Catonis. Sextus Aurelius de uitis Caesarum.

Beneuenutus de eadem re. Philippi Beroaldi et Thomae Vuolphii Iunioris disceptatio de nomine imperatorio.

Epithoma rerum Germanicarum usque ad nostra tempora.

Thomae aucuparii Distichon.

Multa breui doceo mire breuitatis amator

nos eme nam breuibus discere multa potes.

Traduction.

Ce titre nous indique que la deuxième œuvre du recueil factice est elle-même un recueil de plusieurs textes. L'assemblage des textes est ici le fait de l'imprimeur, et non de Beatus Rhenanus.

Il n’y a pas de marque d’imprimeur sur cette page de titre, ni d’information concernant l’édition scientifique des textes, mais on trouve au colophon qu’il a été imprimé à Strasbourg, édité par Thomas Wolff. Ces textes sont réunis selon une certaine logique : des vies d’hommes illustres, associées à une histoire anonyme de l’Allemagne. L’intérêt de Beatus Rhenanus pour l’histoire de la Germanie a culminé avec sa publication en 1531 de l’Histoire de la Germanie (Rerum Germanicarum libri tres) chez Froben. Comme l’Allemagne au début du XVIe siècle se prétendait héritière de l’empire romain, l’étude de la continuité de ce dernier à partir des textes anciens était un travail essentiel.

Il était courant de trouver un distique adressé au lecteur en tête d'ouvrage. Celui-ci, qui n’est pas particulièrement élégant, fait l’éloge de la brièveté à l’attention de l’acheteur potentiel, mais cela n’implique pas que les textes en question soient particulièrement brefs (cette partie du livre fait quand même 250 pages).

Un texte religieux

Page de titre Jean Raulin_1498_BHS K 814e
Bibliothèque humaniste de Sélestat, K 814 e, ©BHS.

Collatio habita in publico conuentu Cluniacensium ordinis sancti benedicti ; per praestantissimum sacrae paginae professorem magistrum Ioannem Raulin Parisensem, nunc uero professum monachum eiusdem monasterii ; de perfecta religionis plantatione incremento et instauratione.

1498.

Nihil sine causa.

Olpe.

Traduction

À la différence des autres titres que nous avons relevés dans ce recueil factice, celui-ci indique le nom d’un imprimeur et une année. Johann Bergmann de Olpe est le principal imprimeur de Bâle à la fin du XVe siècle.

La petite Nef des Fous ou l'art du recyclage

Page de titre Navicula Geiler_BHS K 99
Bibliothèque humaniste de Sélestat, K 99, ©BHS.

Nauicula siue speculum fatuorum prestantissimi sacrarum literarum doctoris Ioannis Geyler Keysersbergii concionatoris Argentinensis : in sermones iuxta turmarum seriem divisa : suis figuris iam insignita : a Iacobo Othero diligenter collecta.

Compendiosa uitae eiusdem descriptio per Beatum Rhenanum Selestatinum.

Ad Narragoniam.

Nauis Stultiorum.

Traduction

Le titre de ce recueil de sermons du prédicateur Jean Geiler est présenté en référence à la Nef des Fous de Sébastien Brant. L’image de la nef représentée sur cette page de titre est d’ailleurs un remploi d'une gravure d’Albrecht Dürer qui illustre l’édition antérieure de Froben de la Nef des Fous de Brant Les légendes et le titre de l’illustration y font aussi référence : la « Narragonie » est le pays des fous (en allemand, Narren signifie « fous »). À l’intérieur de l’ouvrage, on trouve d’autres gravures de Dürer, qui sont aussi des remplois d'une édition antérieure de l’ouvrage de Brant. L’imprimeur semble avoir cherché à associer la réputation et le succès de l’œuvre de Brant à cet ouvrage de Geiler, à moindre frais grâce au remploi de gravures et à l’utilisation d’un titre en rapport avec la Nef des Fous. On peut noter la contribution directe de Beatus Rhenanus, qui dans ce cas n’a pas fait un travail d’édition, mais a écrit une biographie de Geiler. Cet ouvrage n’a pas d’ex-libris de l’humaniste mais il a appartenu à Antoine Dorlan, un notable de Sélestat au XVIIe siècle.

Parcours : l'appel au lecteur

Un titre de livre qui dit « Achète-moi ! » peut nous sembler étonnant, mais c'était assez courant au XVIe siècle. Ces apostrophes apparaissent aussi bien dans des ouvrages dont le titre et l’auteur sont célèbres, comme Les Adages d'Érasme, que dans des œuvres moins connues, tel le recueil d'œuvres sur la Germanie.

Dans tous les cas, les lignes qui interpellent ainsi le lecteur sont en petits caractères. L’acheteur potentiel doit donc déjà avoir décidé de lire ce titre en détail pour tomber sur ces apostrophes. Elles ne sont pas aussi visibles que les mots mis en valeur par la typographie comme nous en trouverons dans les imprimés de Froben dans la suite de notre parcours chronologique.

On peut noter l’usage systématique de l’impératif, et parfois de l'impératif futur. Cet impératif est souvent coordonné avec un indicatif futur, qui décrit les avantages que le lecteur retirera de la consultation de l’ouvrage. Dans la plupart des cas, l’impératif ou le futur sont associés à une clause conditionnelle : si l’on achète le livre, ou si l’on tourne la page, alors on apprendra quelque chose ; et si l’on s’intéresse à tel domaine, alors il faut acheter le livre. Parfois, ces textes supposent que l’acheteur potentiel ait une culture humaniste : ils font ainsi référence à divers travaux d'auteurs, connus et moins connus.

Par Laurent Gauthier
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