
Jules César

Rome, J. Mazzochi, 1517, f. XVI r°, ©Bnf Gallica.
Alors que les exploits de Jules César, le vainqueur des Gaules, l'auteur de célèbres formules comme « Alea iacta est » ou encore « Veni, vidi, vici », ne manquent pas, de manière très étonnante Andrea Fulvio, sous prétexte de modestie, se refuse à les évoquer. Il veut se concentrer, dit-il, sur le portrait physique du grand imperator. Voyons donc, à partir de son texte puis de représentations figurées de diverses époques, quels pouvaient être les traits de César.
1. Lisez le texte en vous aidant des notes et du dictionnaire
Adeo notae sunt C. Caesaris animi et corporis dotes et toto orbe praeclara gesta ut ea silentio dissimulare satius fuerit quam inepta ambitione ostentare.
Ceterum quae ad eius imaginem attinere uidentur breuiter perstringemus. Fuisse traditur excelsa statura, colore candido, teretibus membris, ore paulo pleniore, nigris uegetisque oculis, caluo capite et ob id laurea semper ornato.
Aide à la traduction : l'ablatif de qualité
Le latin peut exprimer une qualité, une propriété d'une personne ou d'un objet d'au moins deux manières :
- avec le génitif de qualité : puer egregiae indolis, « un enfant d'un excellent naturel ».
- avec l'ablatif de qualité : puer egregia indole, « un enfant d'un excellent naturel ».
La dernière phrase du texte est ainsi composée d'une accumulation d'ablatifs de qualité : excelsa statura, colore candido, teretibus membris, ore paulo pleniore, nigris uegetisque oculis, caluo capite et ob id laurea semper ornato.
Le premier, fuisse traditur excelsa statura, pourrait se traduire : « on rapporte qu'il était de grande taille ». À vous de traduire la suite !
2. Des représentations figurées contemporaines : les monnaies
Pour avoir une idée de ce à quoi pouvait ressembler César, il faut se tourner vers les monnaies qui ont été émises de son vivant ou peu de temps après sa mort. Ces monnaies sont riches d'informations et de symboles. Elles constituaient en effet un outil de discours politique important. Il faut savoir que César a été le premier Romain à être représenté de son vivant sur des monnaies, un honneur que personne avant lui n'avait osé s'attribuer ou se faire attribuer. Intéressons-nous à une monnaie tirée du catalogue des monnaies républicaines (Roman Republican Coinage Online) et mobilisons un peu de vocabulaire technique qui nous permettra de décrire avec précision cette monnaie. Elle a été émise en 44 avant J.-C c'est à dire quelques mois seulement avant la mort de César. Vous pourrez alors comparer le portrait monétaire de César au portrait de mots proposé par Andrea Fulvio.

Une monnaie antique présente deux faces : le droit et le revers. Le droit de cette monnaie (à gauche sur l'image) représente une « tête de César couronnée à droite », c'est-à-dire que la tête est orientée vers la droite. À gauche de la tête se trouve une étoile, nous verrons plus loin de quoi il s'agit. À droite, l'inscription CAESAR IMP (c'est-à-dire Caesar imperator). Autour, le grènetis : ce cordon de petit points qui entoure souvent les monnaies. Le revers de la monnaie représente Vénus en pied (c'est-à-dire debout), à gauche (orientée vers la gauche), tenant dans sa main une victoire ailée et dans sa main gauche le sceptre. Autour, la légende SEPVLIVS MACER, l'émetteur de la monnaie (c'est lui qui l'a fait frapper). Comme sur le droit on distingue le grènetis.
- Quels éléments du texte d'Andrea Fulvio font écho à cette représentation contemporaine de César ?
- Selon vous, faut-il plutôt se fier à la monnaie ou au texte ?
- Qu'est-ce que cette représentation de César peut-elle chercher à inspirer ?
Pour découvrir d'autres monnaies représentant César et émises en -44, vous pouvez consulter le catalogue en ligne des monnaies.
3. Un mystérieux buste ...
En 2007, une équipe d'archéologues qui entreprend des fouilles sur la rive droite du Rhône fait une découverte aussi inattendue que précieuse : un buste de marbre blanc qui représenterait César. La présence de ce buste à proximité d'Arles n'est en soi pas étonnante : c'est César qui fait de la cité d'Arelate une colonie romaine en -46, la cité aurait alors voulu lui rendre hommage par ce buste précieux. Une fois l'enthousiasme médiatique suscité par la découverte retombé, l'identification du buste comme celui de César a commencé à être contestée par des spécialistes : en cause, le manque de ressemblance avec les portraits des monnaies. Cette découverte pose une question de méthode : comment identifier un portrait antique ? À vous de juger en comparant texte, monnaies et buste :

4. Un portrait de mots un peu postérieur : Suétone
Avançons dans le temps. Suétone, historien latin du Haut Empire, rédige un ouvrage réunissant les biographies de ceux qu'il appelle les « Douze Césars », les douze premiers empereurs de Rome. C'est ainsi que Suétone, au début du deuxième siècle de notre ère, fait un portrait de mots de César, qu'il considère comme le premier empereur de Rome. En lisant cet extrait du chapitre 45 de la vie de César, vous découvrirez de qui s'est inspiré Andrea Fulvio pour écrire sa notice.
(1) Fuisse traditur excelsa statura, colore candido, teretibus membris, ore paulo pleniore, nigris uegetisque oculis, ualitudine prospera, nisi quod tempore extremo repente animo linqui atque etiam per somnum exterreri solebat. (2) Comitiali quoque morbo bis inter res agendas correptus est. (3) Circa corporis curam morosior, ut non solum tonderetur diligenter ac raderetur, sed uelleretur etiam, ut quidam exprobrauerunt, caluitii uero deformitatem iniquissime ferret saepe obtrectatorum iocis obnoxiam expertus. (4) Ideoque et deficientem capillum reuocare a uertice adsueuerat et ex omnibus decretis sibi a senatu populoque honoribus non aliud aut recepit aut usurpauit libentius quam ius laureae coronae perpetuo gestandae. (5) Etiam cultu notabilem ferunt : usum enim lato clauo ad manus fimbriato nec umquam aliter quam ut super eum cingeretur, et quidem fluxiore cinctura.
(1) Il avait, dit-on, une haute stature, le teint blanc, les membres bien faits, le visage un peu trop plein, les yeux noirs et vifs, une santé robuste, si ce n'est que, dans les derniers temps de sa vie, il était sujet à des syncopes subites, et à des terreurs nocturnes qui troublaient son sommeil. (2) Deux fois aussi, il fut atteint d'épilepsie dans l'exercice de ses devoirs publics. (3) Il attachait trop d'importance au soin de son corps ; et, non content de se faire tondre et raser de près, il se faisait encore épiler, comme on le lui reprocha. Il supportait très péniblement le désagrément d'être chauve, qui l'exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis. (4) Aussi ramenait-il habituellement sur son front ses rares cheveux de derrière ; et de tous les honneurs que lui décernèrent le peuple et le sénat, aucun ne lui fut plus agréable que le droit de porter toujours une couronne de laurier. (5) On dit aussi que sa mise était recherchée, et son laticlave garni de franges qui lui descendaient sur les mains. C'était toujours par-dessus ce vêtement qu'il mettait sa ceinture et il la portait fort lâche.
- Quelles informations supplémentaires trouve-t-on dans le texte de Suétone et qu'Andrea Fulvio n'a pas retenues ?
- Arriverez-vous à déchiffrer le texte de Suétone sur ce manuscrit du XIIIe siècle ?

5. Le médaillon de Fulvio
Faisons un saut dans le temps pour revenir à l'époque humaniste et étudier le médaillon qui accompagne la notice biographique dans le recueil d'Andrea Fulvio. Lui aussi est riche d'informations et de symboles que l'on pourra rapprocher d'autres monnaies.

- La légende : C. CAESAR DICTATOR. La légende fait allusion à la dictature, magistrature assumée par César à plusieurs reprises à partir de -49. Alors qu'il s'agissait à l'origine d'une magistrature temporaire, assumée en cas de circonstances exceptionnelles et pour six mois, César en vient à être dictateur à vie, à partir de -44. La dictature est souvent mentionnée sur les monnaies de l'époque :


- L’étoile, présente à la gauche du buste de César, fait allusion à la comète de César aussi appelée Sidus Iulium ou Caesaris astrum. Cette comète apparut lors des Ludi uictoriae Caesaris, jeux organisés par Auguste en juillet 44, en l’honneur de César assassiné quelques mois auparavant. Les auteurs augustéens, Ovide notamment (Métamorphoses, 15, 745-842), en firent le signe de la divinisation de César, son apothéose. Elle fut récupérée et joua un rôle important dans la propagande politique des successeurs de César.
Siquidem ludis, quos primos consecrato ei heres Augustus edebat, stella crinita per septem continuos dies fulsit exoriens circa undecimam horam, creditumque est animam esse Caesaris in caelum recepti; et hac de causa simulacro eius in uertice additur stella.
Pendant les premiers jeux que donna pour lui, après son apothéose, son héritier Auguste, une comète, qui se levait vers la onzième heure, brilla durant sept jours de suite, et l'on crut que c'était l'âme de César reçue dans le ciel. C'est pour cette raison qu'il est représenté avec une étoile au-dessus de la tête.
Suétone, Vie de César, 88, 2
- La toge et la fibule SPQR : César porte une toge attachée, comme le veut la tradition, par une fibule, cette sorte d’épingle, d’agrafe qui servait à retenir le vêtement. On peut y lire le sigle SPQR, pour Senatus Populusque Romanus, « le Sénat et le peuple romain », emblème de la république romaine. Il s’agit là probablement d’un choix de l’auteur, qui a voulu représenter ainsi la toge : en effet, les monnaies de César que nous avons conservées sont la plupart centrées sur le visage et s’arrêtent au cou, le haut du buste n’est donc généralement pas représenté. Il a pu s’inspirer des bustes en marbres sur lesquels César peut effectivement être vêtu de la sorte, avec la fibule placée sur l’épaule gauche ou l’épaule droite.
- La couronne de lauriers : Autre élément distinctif du médaillon, la couronne de laurier que porte César et qui est aussi mentionnée dans la notice. Normalement, la couronne de laurier n’était portée que par les généraux vainqueurs lors de la cérémonie du triomphe ou de fêtes solennelles. Mais César avait obtenu du Sénat le droit de garder le titre d’imperator et donc d’arborer cette couronne en permanence. C’est à partir de là qu’elle va devenir un des symboles de l’empire et des empereurs. Suétone, que suit Fulvio, ajoute précise malicieusement que César pouvait de la sorte cacher sa calvitie.
- Le Lituus : Le bâton recourbé, en forme de crosse, qui figure à la droite du médaillon représente le lituus. Ce bâton était l’insigne des augures. Fréquemment représenté sur les monnaies de César, il sert à rappeler que celui-ci était grand pontife, Pontifex maximus, charge qu’il assume depuis l’année 63 et qu’il gardera jusqu’à sa mort en 44.

6. Les nouvelles technologies au service de l'Antiquité
On n'arrête pas le progrès ! Des chercheurs néerlandais, Tom Buijtendorp, archéologue, et Maja d'Hollosy, anthropologue spécialiste des reconstructions faciales, ont reconstitué le visage de César en 3D, en créant un buste en argile et en silicone. Pour cela, ils ont utilisé deux bustes en marbre du général et des pièces de monnaie. Leur réalisation a été exposée au Musée national des Antiquités de Leyde, aux Pays-Bas.

Pistes bibliographiques pour aller plus loin
- D. Ménager, « La Figure de César dans les recueils biographiques de la Renaissance », CRMH, 13, 2006, p. 9-21.
- J. Guillemain, « L’invention de la numismatique : des arts décoratifs aux sciences auxiliaires de l’histoire », Anabases, 17, 2013, p. 69-83 (https://journals.openedition.org/anabases/4116#abstract)
- A. Suspène, « En guise d’introduction : les enseignements du portrait monétaire de César », Cahiers des études anciennes, XLIX, 2012, p. 7-18.