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Sur cette page, vous découvrirez le premier texte grec antique édité par Alde Manuce, grand imprimeur vénitien de la fin du Quattrocento et du début du XVe siècle : un poème de Musée. Ce poète de l'Antiquité tardive a laissé un poème consacré à une légende que nous connaissons par ailleurs, en particulier grâce à Ovide : les amours tragiques de deux jeunes gens, Léandre et Héro. Si vous êtes helléniste, vous pourrez confronter versions grecque et latine de ce poème. Sinon, vous serez guidé(e) par les gravures et par la traduction latine qui accompagnaient cette édition. À la Renaissance, en effet, les traductions latines ont souvent constitué un intermédiaire utile pour faire lire de nouveau les textes de l'Antiquité grecque.

1. Alde Manuce et les éditions aldines

Portrait d'Alde Manuce dans la Vita di Aldo Manucio 1759

Alde Manuce, illustration tirée de la Vita di Aldo Pio Manuzio (1759),
d'après un original attribué à Giulio Campagnola. Au centre du cartouche, on aperçoit la marque des Alde qui représente un dauphin s'enroulant autour d'une ancre, symbolisant l'ancien adage Festina lente (« Hâte-toi lentement »). ©numelyo

Célèbre imprimeur-libraire et humaniste italien, Aldo Manuzio (Aldus Manutius en latin, Alde l’Ancien ou Alde Manuce en français) naquit à Bassiano dans les Marais Pontins en 1450 et mourut à Venise en 1515. Après avoir achevé ses études latines à Rome, il suivit à Ferrare les leçons du célèbre professeur de grec Battista Guarini. Chassé de Ferrare par les guerres en 1482, il se réfugie chez son ami, le fameux Jean Pic de la Mirandole et devient le précepteur de son neveu Alberto Pio. Il se lie aussi avec le savant grec Emmanuel Adramyttenos et fortifie ses connaissances de la langue et des manuscrits grecs.

En 1494, Manuce, avec le soutien d'Andrea Torresani, l'un des imprimeurs italiens les plus célèbres du temps, ouvre son imprimerie à Venise. Il se donne comme projet d'imprimer les grandes œuvres de l'Antiquité classique, à commencer par les œuvres littéraires, philosophiques et scientifiques grecques en version originale. Cette entreprise éditoriale se révélait fort complexe dans la mesure où les manuscrits grecs étaient rares et pour un même texte présentaient souvent des dissemblances déconcertantes. Profitant de la présence à Venise de nombreux réfugiés byzantins, Manuce réunit des érudits grecs qu'il employa à collecter, relire et éditer les textes classiques. En 1500, ces érudits fondèrent la Neacademia, également appelée Académie Aldine, qui se consacra à l'érudition et la publication de littérature grecque. Ses membres ne parlaient que grec dans leurs assemblées et modifièrent leur nom pour leur donner des formes grecques. Des hommes distingués y travaillèrent, tels le futur Cardinal Pietro Bembo, Alberto Pio, Giorgio Valla, Thomas Linacre, Érasme, Andrea Navagero, ou encore l'érudit grec Jean Lascaris et son disciple le Crétois Marc Musurus.

Toutes les opérations de fabrication du livre étaient réalisées dans les ateliers de Manuce. Il fabriquait lui-même son encre et reliait les livres qu'il vendait. L'impression en grec représentait alors un cauchemar pour les imprimeurs en raison des esprits et de la variation perpétuelle des accents, rendant nécessaire la possession d'une importante quantité de caractères. Pour réaliser les premiers caractères grecs, Alde Manuce travaille donc en collaboration étroite avec Francesco Griffo, graveur de poinçons et fondeur de caractères originaire de Bologne. Ils conçoivent et utilisent quatre fontes successives, imitant les écritures d'érudits grecs dont ils reproduisent même les abréviations et ligatures caractéristiques.

Voici la transcription en caractères grecs « modernes » du début du poème de Musée :

Εἰπέ, θεά, κρυφίων ἐπιμάρτυρα λύχνον Ἐρώτων,

καὶ νύχιον πλωτῆρα θαλασσοπόρων ὑμεναίων,

καὶ γάμον ἀχλυόεντα, τὸν οὐκ ἴδεν ἄφθιτος Ἠώς,

καὶ Σηστὸν καὶ Ἄβυδον, ὅπῃ γάμος ἔννυχος Ἡροῦς,

νηχόμενόν τε Λέανδρον ὁμοῦ καὶ λύχνον ἀκούω,

Comparez avec l'édition d'Alde Manuce : quelles sont les lettres dont la graphie a évolué ? Quelles ligatures ou abréviations empruntées à l'écriture manuscrite peuvent surprendre un lecteur moderne?

Au cours de ses vingt années d'activité, Alde réussit à imprimer la totalité des grands textes classiques dans des versions fondées sur une connaissance remarquable des manuscrits anciens souvent disparus aujourd'hui. Mieux encore, on lui doit d’avoir inventé le format in octavo, permettant de rendre les livres plus maniables, faciles à transporter et économiques. Les œuvres sont débarrassées de toute forme de glose ou commentaire (qui encerclaient souvent les textes des incunables), et les caractères italiques ou cursifs permettent de gagner de l'espace. Enfin, sur les conseils de Pietro Bembo, on ajoute les accents, la ponctuation et les numéros de pages pour faciliter la lecture. Les tirages relativement importants (près de 60 000 ouvrages imprimés au total) permirent ainsi de diffuser les textes classiques auprès d'un large public.

Ajoutons encore qu'on lui doit l'un des plus beaux livres illustrés de la Renaissance : l'édition originale du texte italien de l'Hypnerotomachia di Poliphilo (Le Songe de Poliphile, 1499) du moine dominicain Francesco Colonna, avec de magnifiques gravures sur bois.

À la mort d'Alde Manuce en 1515, ses fils poursuivirent son œuvre, à Venise ou à Rome (Paul Manuce travailla ainsi pour le Vatican), avant que l’atelier familial ne fût dissous en 1597.

Voici une gravure tirée de la Bibliotheca chalcographica. Il s'agit d'une galerie de portraits de lettrés et de réformateurs religieux du XVIe siècle élaborée par de Jean Jacques Boissard (1528-1602) et Théodore de Bry (1528-1598), et publiée au XVIIe siècle. Saurez-vous déchiffrer et traduire l'épigramme qui célèbre Alde Manuce ?

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Jean-Jacques Boissard et Théodore de Bry, Bibliotheca chalcographica, 1669, f. 395r. ©BnF

Magna quidem laus est scriptoribus, at tibi maior,

Dum Alde facis ueteres Chalcographa arte nouos.

Remplissez les trous.

2. L'édition aldine de Héro et Léandre de Musée 

Disciple de Nonnos de Panopolis, Musée dit « le Grammairien » a probablement vécu en Égypte à la fin du Ve ou au début du VIe siècle de notre ère. Il est l'auteur d'un épyllion (petite épopée) qui relate en 343 hexamètres l'histoire tragique d'Hérô et Léandre, deux amants malheureux habitant Sestos et Abydos, de part et d'autre du détroit de l'Hellespont.

La légende, sans doute colportée par les nombreux voyageurs qui empruntaient cette route commerciale fréquentée, inspira très tôt les lettrés. On en trouve des traces dès l'époque hellénistique : dans le monde grec, elle est le sujet d’un épyllion d’un poète alexandrin dont un fragment en hexamètres fut copié sur un papyrus au Ier siècle après J.-C. (C. H. Roberts, Catalogue of the Greek and Latin Papyri in the John Rylands Library, 3, 1938, n° 486). Plusieurs épigrammes y font aussi référence, notamment celles d’Antipater de Thessalonique (Anthologie grecque, VII n° 666 et IX n° 215). De son côté, le géographe Strabon (XIII, 1, 22) évoque le détroit de l'Hellespont et son courant qui s’écoule entre deux tours voisines dont l'une, située sur la rive européenne près de Sestos, était appelée « la tour de Hérô » (ὁ τῆς Ἡροῦς πύργος). On trouve également des échos de la légende dans la Chorographie de Pomponius Mela (I, 19, 97 et II, 2, 26), ainsi que dans une lettre de Fronton adressée à Marc Aurèle (Ad M. Caesarem, III, 14) et chez les poètes latins Horace (Epist. I, 3, 3), Virgile (Géorgiques III, v. 258-263), Lucain (La guerre civile (la Pharsale), IX, 954-956), Silius Italicus (Pun. VIII, 619), Martial (de Spect. XXV et XXV bis ; Ep. CLXXXI), Stace (Théb., VI, v. 542-547 ; Silves, I, 2, 87-90 et I, 3, 27-28), Ausone (Idylles X, 287 (Mosella) et VIII, 22 f (Cupido cruciatur) et Sidoine Apollinaire (Epithalame, XI, 70). Mais surtout, Ovide consacre aux amants malheureux de l'Hellespont deux de ses Héroïdes (les n° XVIII et XIX) et fait plusieurs fois allusion à leur histoire dans son œuvre (voir Ars amatoria, II, v. 249-250 ; Tristia, III, 10, 39-42 ; In Ibin, 589). Il est possible que l'épyllion alexandrin aujourd'hui perdu (mais attesté par quelques fragments papyrologiques) ait été la source commune d'Ovide et de Musée.

Quoi qu'il en soit, la légende ne cessa d’ inspirer les poètes jusqu’à la fin de l’Antiquité et même au-delà, si l'on en juge par les épigrammes amoureuses composées au VIe siècle après J.-C. par Agathias le Scholastique et Paul le Silentiaire (Anthologie grecque, V n° 263 et n° 293 ; IX n° 381). Elle fut aussi un sujet d'inspiration dans les arts décoratifs : fresques, mosaïques, bas-reliefs, orfèvrerie, céramique... À l'époque impériale, des graveurs la représentent sur des monnaies de Sestos et d’ Abydos.

Monnaies




À gauche, dessin du revers d’ une monnaie de Sestos frappée sous Caracalla (BMC Thrace 200, n° 18) ; à droite, revers d’ une monnaie d’ Abydos frappée sous Sévère Alexandre (SNG von Aulock n° 7543)
Mosaïque Héro et Léandre, Rome IIe-IIIe s ap JC
Rome, IIe - IIIe siècle. Héro et Léandre, mosaïque, opus tessellatum polychrome, 77x55 cm.

L’édition princeps du texte grec de Musée parut entre 1494 et novembre 1495 sous le titre Mουσαίου ποιημἀτιον τἀ καθ Ἔρώ καὶ Λέανδρον (Poème de Musée de Héro et Léandre). Avec les Erotemata de Jean Lascaris et la Galeomyomachia de Theodorus Prodromus, c’est l’un des premiers livres en caractères grecs qu’imprime Alde Manuce, avec l'aide de Marc Musurus. Il est essentiel de rappeler qu'avant lui, il n'avait encore été publié qu'une dizaine de livres grecs en tout, à Milan, à Venise, à Florence et à Vicence, d'une façon plus ou moins imparfaite. En 1494-1495, le texte est édité par Jean Lascaris à Florence, s’inscrivant dans un projet de publications grecques émanant des cercles de Ficin et de Politien, qui comprend également l’Anthologie grecque, Apollonius de Rhodes, Euripide et les Hymnes de Callimaque. En 1497 ou 1498, Alde publie une traduction latine du poème (parfois attribuée à Marcus Musurus), imprimée avec le texte grec et accompagnée d'illustrations, comme on peut le voir dans l'exemplaire suivant conservé à la Bibliothèque d'État de Bavière (cote Rar. 303, f. 13v-14r, ©MunichDigitiZationCenter).

  • Observez l'illustration de gauche : où se passe la scène ? Quel est le nom du bras de mer au centre ?
  • Combien y a-t-il de personnages et qui sont-ils ? Décrivez leurs attitudes respectives. Quelle relation peut-on supposer entre eux ?
  • Observez maintenant l'illustration de droite : décrivez l'attitude d'Hérô puis observez les deux personnages en dessous. Que remarquez-vous ? (passez votre souris sur l'image pour vérifier vos réponses)

Fabulamne bene intellexisti? Lege et veram sententiam elige. Ἆρα μῦθον οἶσθα; ἀνάγνωθι καὶ εὗρε τὴν ἀληθῆ ἀπάντησιν.

1. Quae stat in summa turri ? Τίς ἵστησιν ἐπ'ἄκρου πύργου ;

2. Vnde uenit Leander ? Πόθεν ἦλθεν ὁ Λέανδρος ;

3. Quo it Leander ? Ποῖ ἔρχεται ὁ Λέανδρος ;

4. Vbi est Sestus ? Ποῦ ἐστιν ἡ Σηστός ;

5. Quomodo Leander apud puellam uenit ? Πῶς παρὰ τὴν κόρην ἔρχεται ὁ Λέανδρος ;

6. Quod mare Leander tranat ? Διὰ τίνα θάλατταν διανήχεται ὁ Λέανδρος ;

Voici maintenant une édition plus tardive de l'œuvre de Musée, publiée par l'imprimeur parisien Chrétien (ou Christian) Wechel :

Musaei Opusculum de Herone et Leandro, Paris, 1538, Bibliothèque municipale de Lyon (318337 (1) ©numelyo)

  • Sur quel objet (absent des illustrations précédentes) le graveur a-t-il mis l'accent ici ? Quel rôle joue-t-il dans le drame ? (passez votre souris sur l'image pour connaître la réponse)
  • Retrouvez le terme correspondant dans l'incipit du poème de Musée ci-dessous.

ΜΟΥΣΑΙΟΥ ΤΑ ΚΑΤ' ΗΡΩ ΚΑΙ ΛΕΑΝΔΡΟΝ

1 Εἰπέ, θεά, κρυφίων ἐπιμάρτυρα λύχνον Ἐρώτων

2 καὶ νύχιον πλωτῆρα θαλασσοπόρων ὑμεναίων

3 καὶ γάμον ἀχλυόεντα, τὸν οὐκ ἴδεν ἄφθιτος Ἠώς,

4 καὶ Σηστὸν καὶ Ἄβυδον, ὅπῃ γάμος ἔννυχος Ἡροῦς*,

5 νηχόμενόν τε Λέανδρον ὁμοῦ καὶ λύχνον ἀκούω,

6 λύχνον ἀπαγγέλλοντα διακτορίην Ἀφροδίτης,

7 Ἡροῦς νυκτιγάμοιο γαμοστόλον ἀγγελιώτην,

8 λύχνον, Ἔρωτος ἄγαλμα· τὸν ὤφελεν αἰθέριος Ζεὺς

9 ἐννύχιον μετ´ ἄεθλον ἄγειν ἐς ὁμήγυριν ἄστρων

10 καί μιν ἐπικλῆσαι νυμφοστόλον ἄστρον Ἐρώτων,

11 ὅττι πέλεν συνέριθος ἐρωμανέων ὀδυνάων,

12 ἀγγελίην δ´ ἐφύλαξεν ἀκοιμήτων ὑμεναίων,

13 πρὶν χαλεπαῖς πνοιῇσιν ἀήμεναι ἐχθρὸν ἀήτην.

14 ἀλλ´ ἄγε μοι μέλποντι μίαν συνάειδε τελευτὴν

15 λύχνου σβεννυμένοιο καὶ ὀλλυμένοιο Λεάνδρου.

* sous-entendre le verbe ἐγένετο

MVSEI DE HERONE ET LEANDRO

1 Dic, Dea, occultorum testem lucernam amorum

2 Et nocturnum natatorem per mare uectarum nuptiarum

3 Et coitum tenebrosum quem non uidit immortalis Aurora,

4 Et Sestum et Abydum, ubi nuptiae nocturnae Herus*,

5 Natantemque Leandrum simul et lucernam audio,

6 Lucernam annuntiantem nuntium Veneris,

7 Herus nocte nubentis nuptias ornantem nuntium,

8 Lucernam amoris simulacrum, quam debuit aetherius Iuppiter

9 Nocturnum post officium ducere ad consortium astrorum

10 Ac ipsam appellasse sponsas ornantem stellam amorum

11 Quoniam fuit ministra amatoriarum curiarum

12 Nuntiumque seruauit insomnium nuptiarum

13 Antequam molestus flatus flaret inimicus uentus

14 Sed eia mihi canenti unum concine finem

15 Lucernae exstinctae, et pereuntis Leandri.

* sous-entendre le verbe fuerunt

  • Complétez la traduction ci-dessous :

Remplissez les trous en ajoutant la bonne traduction.

Observons maintenant l'excipit du poème de Musée et sa traduction par Alde Manuce :

333  Ἡ δ’ ἔτι δηθύνοντος ἐπαγρύπνοισιν ὀπωπαῖς

334 Ἵστατο κυμαίνουσα πολυκλαύτοισι μερίμναις.

335 Ἤλυθε δ’ ἠριγένεια καὶ οὐκ ἴδε νυμφίον Ἡρώ.

336 Πάντοθι δ’ ὄμμα τίταινεν ἐς εὐρέα νῶτα θαλάσσης,

337 Εἴ που ἐσαθρήσειεν ἀλωόμενον παρακοίτην

338 Λύχνου σϐεννυμένοιο. Παρὰ κρηπῖδα δὲ πύργου

339 Δρυπτόμενον σπιλάδεσσιν ὅτ'ἔδρακε νεκρὸν ἀκοίτην,

340 Δαιδαλέον ῥήξασα περὶ στήθεσσι χιτῶνα

341 Ῥοιζηδὸν προκάρηνος ἀπ'ἠλιϐάτου πέσε πύργου.

342 Κὰδ δ’ Ἡρὼ τέθνηκε σὺν ὀλλυμένῳ παρακοίτῃ.

343 Ἀλλήλων δ’ ἀπόναντο καὶ ἐν πυμάτῳ περ ὀλέθρῳ.

333 Cum adhuc autem dirigeret iter uigilibus oculis,

334 Stabat fluctuans miseris curis.

335 Venit autem aurora, et non uidit sponsum Hero,

336 Circumquaque oculum dirigebat in lata dorsa maris,

337 Sicubi uideret errantem suum maritum

338 Lucerna exstincta. Apud fundamentum turris

339 Dilaniatum scopulis ut uidit mortuum maritum,

340 Variam scindens circa pectora tunicam,

341 Cum strepitu præceps ab alta deturbata est turri.

342 Atque Hero mortua est ob mortuum maritum,

343 Suique potiti sunt et in ultima pernicie.

Retrouvez les expressions grecques équivalentes aux expressions latines suivantes et copiez-collez-les à côté :

Retrouvez les expressions grecques équivalentes aux expressions latines suivantes :

Complétez la traduction ci-dessous :

Remplissez les trous.

3. Léandre et Héro après l'Antiquité...

Voici maintenant deux transpositions en vers français de l'excipit du poème de Musée. Laquelle vous semble la plus proche du texte original ?

Tandis*, Héro avait ses beaux yeux verts
Toujours au guet, vigilants et ouverts,
Et lors sur pieds pleurant, pensant, rêvant,
La misérable, en sa face levant,
Va voir du jour la claire étoile Aurore,
Et ne voit point son cher époux encore.
Par quoi, étant jà éteint le flambeau,
Deçà, delà, jeta son œil tant beau
Sur le grand dos de la mer, pour savoir
Si son ami navigant pourra voir.
Mais las ! sitôt qu’elle eut jeté sa vue
En contrebas, la pauvre dépourvue
Va voir au pied de la tour, déchiré
Contre les rocs, son ami désiré ;
Dont par fureur rompit son vêtement
Autour du sein ; puis tout subitement,
Jetant un cri de personne insensée,
Du haut en bas de la tour s’est lancée.
Ainsi Héro mourut, le cœur marri
D’avoir vu mort Léander son mari,
Et après mort, qui amants désassemble,
Se sont encor tous deux trouvés ensemble.

                              Clément Marot (XVIe siècle)

*C’est-​à-​dire « pendant ce temps ».

Maudissant l’océan débordé
Et l’orage, Héro, qui veut croire vivant,
Malgré les flots tempétueux, celui qu’elle aime,
Cherche des yeux dans la nuit noire et dans le creux
Des lames son Léandre à jamais retardé
Par la mort, mais bientôt le jour point, et l’affreux
Spectacle se révèle ; elle voit, étendu,
Brisé sur les écueils, l’ami qu’elle a perdu.
Alors, elle rejette, en brisant d’un seul coup
Le fermoir, la mante agrafée à son cou
Et s’élance d’en haut sur les rochers hideux,
Et l’écume et les flots les recouvrent tous deux.

Marguerite Yourcenar, (La Couronne et la Lyre, éd. Gallimard, Paris, 1979)

La légende de Léandre et Héro a aussi pu inspirer des artistes de l'époque moderne, comme la toile dont vous avez une reproduction ci-dessous.

D’origine bordelaise, le peintre Jean-Joseph Taillasson étudia dans l’atelier parisien de Joseph-Marie Vien (1716-1809), membre influent de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, qui l’orienta vers la peinture d’histoire et le courant néoclassique. Il exposa régulièrement au Salon qui se tenait au Louvre.

Jean-Joseph Taillasson (1745-1809), « Héro et Léandre », 1798, huile sur toile, 253X318 cm, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux.

1. Décrivez l'attitude d'Héro. Quel sentiment traduit-elle ?

2. Observez l'arrière-plan et la composition du tableau. Comment la solitude des amants est-elle mise en évidence ?

3. Observez la tour au second plan à droite. Son architecture évoque-t-elle pour vous l'Antiquité ?

(passez votre souris sur l'image pour vérifier vos réponses)

Sur les traces de Léandre : L'exploit de Lord Byron

Lord Byron in der Villa Diodati 1816
George Gordon Noel Byron,
Lord Byron dans la Villa Diodati, 1816.

Alors qu’il effectuait un tour d’Europe entamé en 1809, qui l'avait conduit successivement à Lisbonne, Séville, Malte, Athènes et Constantinople, le poète romantique anglais Lord Byron (1788 -1824) fit escale non loin du détroit où le légendaire Léandre aurait accompli ses traversées. Très bon nageur, il décida alors de faire revivre la légende. Après une première tentative infructueuse en avril 1810 (les courants déchaînés ainsi que l’eau glacée alimentée par la fonte des glaces des montagnes environnantes avaient eu raison de la témérité du jeune britannique), il parvient, le 3 mai 1810, après 1h10 d’efforts, à traverser en diagonale l'Hellespont, les forts courants rendant impossible toute traversée en ligne droite. Fier de son exploit, il écrivit six jours après un poème, The Bride of Abydos (La Fiancée d'Abydos), qui contribua fortement à sa renommée à travers l’Europe.

Voici le début du chant II dans la traduction française d'Amédée Pichot qui fut le premier, dès 1819, à faire connaître les poèmes de Byron en France.

Chant second : I

Les vents soufflent avec violence sur les vagues de l'Hellespont comme dans la nuit de tempête où l'Amour qui aurait dû le protéger oublia de sauver le beau, le jeune, le brave Léandre, l'unique espoir de la fille de Sestos. Ah ! lorsqu'il voyait briller dans le ciel le fanal que son amante allumait sur la tour, en vain le vent qui se levait, l'écume des brisants et les cris des oiseaux de mer, l'avertissaient de demeurer ; en vain les nuages dans les airs, et les ondes au-dessous, par leurs signes et leur bruit, lui défendaient de partir : son œil ne voyait que ce phare de l'amour, la seule étoile qu'il aimât à saluer dans le ciel ; son oreille n'entendait que les chants de sa maîtresse, 'ô vagues, ne séparez pas longtemps deux amants'. Cette histoire est ancienne, mais l'amour peut encore inspirer à de jeunes cœurs le même courage et le même dévouement.

Par Marie Platon
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