Pietas
RRC 477/3a.

Sur cette page, vous pourrez :

  • apprendre à analyser le message d’une monnaie ;
  • découvrir trois valeurs romaines au centre de la vie politique ;
  • traduire de courts extraits de Cicéron .

1. Quelques mots d'introduction : les monnaies de l'Antiquité romaine

Les monnaies frappées et utilisées par les Romains dans l’Antiquité sont une source d’informations importante pour étudier leur culture. Elles nous renseignent par exemple sur :

  • la vie politique, car les monnaies font référence à la carrière politique de certains personnages ;
  • les finances et l’économie ;
  • la religion, car les dieux sont représentés et nommés sur les monnaies.

Grâce aux monnaies, il est aussi possible d’étudier certaines valeurs vénérées et respectées par les Romains, pour lesquelles ils ont créé des images : c’est le cas par exemple pour uirtus, honor et pietas.

2. Une monnaie sous les traits de Vertu (Virtus)

La monnaie sur laquelle vous allez travailler est un denier. Le denier est une monnaie d'argent aux caractéristiques bien précises : un dernier pèse 3, 70 g et mesure un peu moins de 2 cm de diamètre. Comme toutes les monnaies, celle ci est composée de deux faces : le droit (image de gauche), sur lequel se trouve un portrait ; le revers (image de droite).

Observez bien les deux faces de ce denier et répondez aux questions.

Virtus - Copie
RRC 401/1 – denier frappé à Rome en 71 av. J.-C.
Source :  Bibliothèque nationale de France, département Monnaies, médailles et antiques, REP-5720.

2. a. Le droit

  • Selon vous, la figure représentée au droit est-elle masculine ou féminine ? Pourquoi ? Quels sont ses attributs ?
  • Quelles lettres arrivez-vous à distinguer à gauche de la figure ?
  • Quel nom de valeur romaine reconnaissez-vous sur la droite ?

Pour vérifier vos réponses, passez votre souris sur l'image :

Pour comprendre pourquoi le magistrat a choisi de représenter VIRTUS et pourquoi les Romains accordent une grande importance à cette valeur, traduisez cet extrait de Cicéron en vous aidant des annotations :

Bene uero quod Mens, Pietas, Virtus, Fides consecrantur humanae, quarum omnium Romae dedicata publice templa sunt, ut illas qui habeant (habent autem omnes boni) deos ipsos in animis suis conlocatos putent.

Cicéron, Des lois, II, 28.

Les Romains pouvaient diviniser les qualités humaines car ils étaient polythéistes, c’est-à-dire qu’ils croyaient en l’existence de plusieurs dieux. Ces valeurs sont divinisées avec un double but. D’une part, cette divinisation incite les citoyens à les respecter davantage. D’autre part, les Romains sont ainsi invités à incarner à leur tour ces vertus, pour inspirer du respect à leurs concitoyens.

Pour comprendre pourquoi le triumvir monétaire choisit de célébrer Virtus, il faut étudier le revers de la monnaie.

2. b. Le revers

Virtus revers
RRC 401/1 revers.

Commençons par lire la légende, afin de découvrir quel est le nom du triumvir : MN AQUIL MN F MN N (le dernier élément de la légende, SICIL, est en lien avec l’iconographie, il sera commenté plus bas). Le nom du personnage apparaît sous la forme abrégée et on observe une ligature, ꟿ, c’est-à-dire que les lettres M et N sont ici liées entre elles pour gagner de la place. C’est une pratique courante dans les inscriptions romaines (notez que la science qui étudie les inscriptions s'appelle l'épigraphie).

Le triumvir qui a signé la monnaie se nomme Manius Aquilius et comme tous les citoyens romains il rappelle sa filiation, de façon abrégée : MN F signifie fils (filius) de Manius et MN N, petit-fils (nepos) de Manius. Grâce à ces informations, développez la légende et mettez le praenomen Manius au cas qui convient.

Remplissez les trous.

Il est rare que les citoyens romains rappellent sur les monnaies leur filiation jusqu’à leur grand-père. Pour comprendre la présence de cette information ici, il faut étudier l’iconographie de la monnaie. Observez bien la monnaie et répondez aux questions :

  • Qui est le personnage central ? Que tient-il ? Que fait-il ?
  • L'identité de la personne à genou est indiquée par la légende. Que lisez-vous ?

Pour comprendre le lien avec le triumvir et son grand-père Manius, lisez et traduisez ce court extrait de Cicéron :

Nos enim, post illud bellum quod Mn Aquilius confecit, sic accepimus nullum in Sicilia fugitiuorum bellum fuisse .

Cicéron, Seconde action contre Verrès, V, 5, 3.

Manius, le grand-père du triumvir a été consul en 101 av. J.-C. et a maté une révolte d'esclaves en Sicile. C’est donc le grand-père du triumvir qui est représenté sur le revers de la monnaie, en soldat, en train de relever la Sicile à genou et de la protéger avec son bouclier. Le triumvir rend hommage à son grand-père et il célèbre le prestige de sa famille. Nous allons expliquer ce qu’est l’honor chez les Romains, mais auparavant terminons le commentaire de notre monnaie, en mettant en relation le droit et le revers.

En conclusion :

  • Quel est selon vous le lien entre le message du droit et du revers ?
  • En 71, Rome réprime la célèbre révolte des esclaves menée par Spartacus. Que pouvez-vous en déduire sur les choix iconographiques des monnaies à Rome ?

3. Une monnaie sous les traits d'Honneur (Honos)

Comme uirtus, honor fait l’objet d’un culte à Rome. L'honor présente deux aspects principaux chez les Romains. C'est d'une part la considération dont jouit un homme politique, et qui se traduit par les charges (les responsabilités, les postes) politiques qu'on lui confie. D'autre part, l'honor est le code de comportement que se doit de respecter un tel homme, pour mériter le prestige que les autres lui reconnaissent.

Traduisez l'extrait suivant :

Nostis extra Portam Collinam aedem Honoris. Aram in eo loco fuisse memoriae proditum est. Ad eam cum et in ea scriptum nomen Honoris, ea causa fuit ut aedes haec dedicaretur.

Cicéron, De Legibus, II, 58.

Ce temple a peut-être été construit au IIIe siècle av. J.-C., c’est-à-dire pendant le siècle de la première et de la deuxième guerre punique (guerres qui opposent Rome aux Carthaginois). En 233 av. J.-C., un temple consacré à Honor (et peut-être aussi à Virtus) est érigé par Q. Fabius Maximus près de la Porta Capena.

Une monnaie met directement en relation Honor et Virtus. Observez-la bien et répondez aux questions :

Honor et Virtus - Copie
RRC 403/1 – denier frappé à Rome en 70 av. J.-C.
Source :  Bibliothèque nationale de France, département Monnaies, médailles et antiques, REP-11610.
  • Sur le droit, que représentent les deux têtes ? Aidez-vous des légendes qui les entourent.
  • Que portent ces deux têtes et que peuvent signifier ces attributs selon vous ?
  • Sur le revers figurent deux personnages en pied. De qui s'agit-il ? Aidez-vous des légendes.
  • Que font ces deux personnages ?
  • Quels symboles reconnaissez-vous ?

Pour décrypter le riche symbolisme de cette monnaie, passez votre souris sur l'image :

Vous savez maintenant quelles sont les deux valeurs représentées. Selon vous, quel est leur lien, pourquoi les représenter ensemble ?

Décodez la mise en scène du revers en passant votre souris sur l'image :

Quel est alors le message global de cette monnaie ?

Dans le contexte qui s’ouvre après la Guerre sociale (Guerre qui oppose Rome à certains de ses alliés italiens, qui réclament la citoyenneté romaine), les liens entre Rome et l’Italie sont plus forts et cela permet l’émergence de nouveaux hommes politiques, qui accèdent aux honneurs (à des magistratures) grâce à leur uirtus, leur richesse et leurs appuis politiques. La uirtus permet certes à un citoyen de se distinguer pour sa valeur personnelle, mais la richesse et les appuis politiques sont tout aussi importants. En effet, à Rome il est nécessaire d’être riche pour s’engager en politique car les magistrats ne reçoivent pas de salaires. Il faut également des soutiens politiques afin d’être élu magistrat lors des campagnes électorales. En outre, Q. Fufius Calenus, qui a fait frapper cette monnaie, est un homme nouveau (homo nouus), c’est-à-dire le premier personnage de sa famille à accéder au sénat. Il rappelle donc qu’il a accédé aux honneurs grâce à sa uirtus, et non par la seule renommée de sa famille.

4. Une monnaie sous le signe de Pietas

Le respect des ancêtres, et plus généralement des membres de sa famille, est valorisé par les Romains, notamment à travers la valeur de pietas. Lisez et traduisez cette définition qu'en donne Cicéron :

Appellant pietatem quae erga patriam aut parentes aut alios sanguine coniunctos officium conseruare moneat.

Cicéron, De l'invention, II, 66.

Il y a une différence entre la pietas des Romains et la piété telle qu’on l’entend actuellement. De nos jours, la piété concerne uniquement le comportement religieux d’une personne, elle n’implique pas l’accomplissement de ses devoirs envers la famille ou l’État. La piété envers les dieux existe aussi à Rome, même si Cicéron ne l’évoque pas ici. En résumé, la pietas romaine désigne le respect des devoirs envers la famille, la patrie et les dieux. C’est une valeur très importante pour les Romains et, comme uirtus, pietas fait l’objet d’un culte à Rome.

Traduisez cette phrase de Cicéron pour découvrir la place que la pietas occupe dans le système des valeurs romain :

Haec enim est una uirtus non solum maxima sed etiam mater uirtutum omnium reliquarum.

Cicéron, Plaidoyer pour Cn. Plancius, 80

Comme uirtus et honor, pietas est représentée sur les monnaies.

Pietas 1 - Copie
RRC 308/1 – denier frappé à Rome en 108 av. J.-C.
Source :  Bibliothèque nationale de France, département Monnaies, médailles et antiques, REP-12070.

Pietas est représentée au droit, sans attribut distinctif particulier, et la légende est indispensable pour l’identifier.

Au revers, la légende M. HERENN fait référence au triumvir monetalis, M. Herennius.

Que représente l’iconographie au revers ? Il y a-t-il un lien avec le droit ? Le revers représente unhomme qui en porte un autre personnage. Cela vous rappelle-t-il un célèbre héros, au coeur de l'épopée écrite par le poète Virgile ? Il s'agit en effet d'Énée portant Anchise alors qu'ils fuient Troie en train de brûler, un fait exemplaire (exemplum) de pietas illustre chez les Romains. Vous pouvez en voir d'autres représentations en cliquant ici.

D’autres monnaies représentent Pietas, et parfois avec un symbole qui permet de la reconnaître sans avoir recours à une légende monétaire.

Pietas 2 - Copie
RRC 374/1 – droit d’un denier frappé hors de Rome en 81 av. J.-C.
Source : Bibliothèque nationale de France, département Monnaies, médailles et antiques, REP-6228.

Quel est l’animal associé à Pietas au droit ? Si vous ne voyez pas bien, traduisez l’extrait suivant, issu de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, qui vous aidera à comprendre la raison de ce choix iconographique  :

Ciconiae nidos eosdem repetunt, genetricum senectam inuicem educant .

Pline l’Ancien, Histoire naturelle, X, 32.

La cigogne prend soin de ses parents lorsqu’ils sont âgés, elle fait donc preuve de pietas. En associant l’image de l’animal à un portrait féminin, on crée ainsi un code iconographique qui identifie Pietas. Ce symbole a eu un grand succès, vous allez le voir.

Au revers, la légende abrégée mentionne le responsable de la frappe de la monnaie. Il s’agit de Quintus Caecilius Metellus Pius Imperator. Quintus est son praenomen, Caecilius son nomen, Metellus et Pius ses cognomina (surnom) et Imperator son titre de chef de guerre. L'étude des noms propres s'appelle l'onomastique. Pius est un cognomen très rare que le personnage a adopté lui-même pour rappeler qu’il avait fait preuve de piété en œuvrant à la réhabilitation politique de son père, Q. Caecilius Metellus Numidicus, qui avait été exilé. Quant à l’éléphant, il rappelle que l’un de ses ancêtres, Lucius, avait capturé les éléphants de guerre du carthaginois Hasdrubal en 251, lors de la première guerre punique. Cette monnaie célèbre donc la valeur personnelle de Quintus Caecilius Metellus Pius Imperator ainsi que les hauts faits d’un ancêtre.

Si vous deviez respecter une des trois valeurs romaines évoquées, laquelle vous inspirerait le plus et pourquoi ? Écrivez un court texte pour expliquer votre choix.

5. Une nouvelle vie pour la figuration symbolique des valeurs romaines à l'époque moderne (XVIe-XVIIe siècles)

Les valeurs antiques et les symboles auxquels ils étaient associés dans les textes et l’iconographie ont connu une nouvelle fortune à l’époque moderne.

5. a. Survie de la cigogne, symbole de piété

La cigogne, incarnation de la pietas, est ainsi présente à la fois dans les Adages d’Érasme, les emblèmes d’Alciat et comme marque d’imprimeur.

Chez Érasme

Dans l’adage 901, Érasme commente le verbe antipelargein (« rendre à la façon des cigognes »), construit sur le nom pelargos, « la cigogne ». Il rappelle le comportement exemplaire de la cigogne qui, plus que toute autre espèce, prend soin de ses géniteurs.

una ciconia parentes senecta defectos uicissim alit et uolandi impotentes humeris gestat. Quorum posterius laudatur in Aenea, cui inde Pii cognomen <fuit>.

Érasme, adage 901, voir l’édition des Adages, dir. J-Ch. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2010, vol. 1, p. 663.

Essayez de comprendre cette citation :

  • Quels sont les deux gestes concrets par lesquels les cigognes prennent soin de leurs parents âgés ?
  • De quel personnage le deuxième geste les rapproche-t-il ?

Dans les emblèmes d’Alciat

  • Parmi les « emblèmes » d’Alciat (poèmes accompagnés d’une gravure et d’un titre) figure une représentation de cette piété de la cigogne. Observez cette gravure. En quoi correspond-elle parfaitement à l’évocation de la piété des cigognes rapportée dans les Adages d’Érasme ?
  • Essayez de traduire l’épigramme (le poème, en distiques élégiaques) qui accompagne cette gravure.

Gratiam referendam

Cigogne
Alciat, emblèmes, Paris, Ch. Wechel, 1534, p. 9.

Aerio insignis pietate ciconia nido

Inuestes pullos, pignora grata, fouet,

Taliaque expectat sibi munera mutua reddi,

Auxilio hoc quoties mater egebit anus.

Nec pia spem soboles fallit, sed fessa parentum

Corpora fert humeris, praestat et ore cibos.

Dans une marque d'imprimeur

Pietas Nutius
Marque d’imprimeur de Philippe et Martin Nutius

Enfin, regardez la marque d’imprimeur de Philippe et Martin Nutius, libraires imprimeurs à Anvers pendant la deuxième moitié du XVIe s. et la première moitié du XVIIe s.

  • Quelle similitude et quelle différence observez-vous avec la gravure figurant dans les emblèmes d’Alciat ?
  • Sachant qu’il faut lire la devise en commençant par le mot Pietas et en allant de la droite vers la gauche, de haut en bas pour remonter ensuite en haut, reconstituez la sentence qui figure sur cette marque.
  • Sous-entendez le verbe est et traduisez-la.

5. b. Un autre symbole antique de la piété repris à l’époque humaniste : le « Pieux » Énée

Dans l’Antiquité, on trouve de nombreuses représentations de la figure d’Énée portant son père Anchise, sur les monnaies, les monuments sculptés… À la Renaissance, beaucoup de tableaux et gravures reprennent ce motif iconographique. Le voici dans les emblèmes d’Alciat.

  • Traduisez le titre de cet emblème. Comment fait-il écho à ce qui a été vu plus haut à propos du motif d'Énée sur une monnaie romaine ?
  • Essayez de traduire l'épigramme (le poème qui suit, en distiques élégiaques).

Pietas filiorum in parentes.

Enee portant Anchise
Alciat, emblèmes, Paris, Ch. Wechel, 1534, p. 73

Per medios hosteis patriae, cum ferret ab igne

Aeneas humeris dulce parentis onus.

« Parcite, dicebat. Vobis sene adorea rapto

Nulla erit, erepto sed patre summa mihi».

Ce poème est lui-même une reprise de l'Antiquité : il s'agit en effet de la traduction latine, par Alciat, d'une épigramme grecque qu'il a lue dans une collection d'épigrammes antiques redécouverte à la Renaissance. Symboles littéraires et figurés n'en finissent pas de voyager...

Par Guillaume de Méritens de Villeneuve
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