
Médée : la criminelle
I. Découvrons la figure de Médée
Connaissez-vous Médée ? C'est une figure féminine de la mythologie gréco-romaine qui a fasciné écrivains et artistes au cours des siècles.
Médée réunit beaucoup d'aspects qui font d'elle une « autre » inquiétante :
- c'est une femme,
- petite-fille d'Hélios, le dieu Soleil,
- une étrangère, qui appartient aux confins du monde barbare, la Colchide (actuelle Géorgie),
- une magicienne (elle a pour tante la magicienne Circé), qui a la connaissance des herbes, des philtres et de leurs puissances.
- Bien que femme... elle est pleine d'audace et entreprenante. Tombée amoureuse du Grec Jason, elle l'aide par sa magie à dérober à son propre père la Toison d'or.
- C'est une amoureuse passionnée : elle est capable de commettre les pires crimes pour aider Jason. Fuyant sa patrie, une fois la Toison d'or dérobée par Jason, elle retarde son père, parti à leur poursuite, en lançant sur les flots le cadavre de son frère, Apsyrtos, dépecé en petits morceaux. Elle tuera aussi Pélias, l'oncle de Jason qui avait imposé à son neveu d'aller chercher la Toison d'or pour le faire mourir. Elle fait croire aux filles de Pélias qu'elle a la puissance de le faire rajeunir si elles le mettent à cuire dans un chaudron, comme elle vient de le faire sous leurs yeux pour un bélier. Mais c'est un piège, et les filles de Pélias font ainsi mourir leur père involontairement.
- Par la suite, Médée trouve refuge avec Jason à Corinthe. Quand Jason l'abandonne pour épouser Créüse, la fille du roi de Thèbes, Créon, elle fait mourir par la ruse le père et la fille, et va jusqu'à tuer de ses propres mains les deux fils qu'elle a eus de Jason, pour le briser.
Écrivains et artistes, dès l'Antiquité et jusqu'à nos jours, ont posé sur cette figure complexe des regards très divers, ambivalents, qui vont de la condamnation totale à l'empathie. Nous allons découvrir quelques-unes des représentations littéraires et artistiques qu'ils ont laissées à notre jugement.
Et vous, quel sera votre regard sur Médée ?
II. Regards de la Renaissance sur Médée
2.1.Médée parmi les Femmes célèbres de Boccace (1313-1375)
L'écrivain italien Boccace (1313-1375) est considéré comme un précurseur de l'humanisme. Il s'intéresse à l'Antiquité et réunit une centaine de notices qui évoquent la vie de femmes célèbres de l'Antiquité : déesses, héroïnes mythologiques et quelques femmes ayant eu une existence historique avérée.
Dans sa préface, il dit vouloir donner des femmes exemplaires comme modèles, sans passer sous silence pour autant les grandes criminelles du passé, qui serviront d'anti-modèles. Il nomme en premier lieu Médée.
L'ouvrage de Boccace, intitulé De mulieribus claris en latin, a été très diffusé à la Renaissance. Il a été beaucoup traduit dans les langues modernes. Il a donné lieu à beaucoup d'illustrations. Les femmes lettrées de la noblesse, en particulier, aiment à le lire.
La mère de François Ier, Louise de Savoie, est une femme cultivée. Elle a fait illustrer par un enlumineur reconnu alors, Robinet Testard, une traduction en français anonyme Des cleres et nobles dames. Regardez ci-dessous l'illustration qui accompagne le texte, dans ce beau manuscrit réalisé pour elle dans les dernières années du XVe siècle.

A/ Que tient Médée dans sa main gauche, pourquoi ?
B/ Décrivez la posture, les vêtements, la coiffe et les traits de visage de Médée. Quels traits s'en dégagent selon vous ?
C/ Quels éléments du paysage et du ciel à l'arrière-plan attirent le regard ? Pouvez-vous leur donner une signification par rapport à la figure de Médée ?
Lisez les premières lignes de la notice consacrée à Médée chez Boccace.
Medea, saevissimum veteris perfidiae documentum, [...] formosa satis et maleficiorum longe doctissima <fuit>. Nam, a quocumque magistro instructa sit, adeo herbarum vires familiares habuit, ut nemo melius ; novitque plene cantato carmine turbare coelum, ventos ex antris ciere, tempestates movere, flumina sistere, venena conficere, elaboratos ignes ad quodcunque incendium componere et hujusmodi perficere omnia.
Médée, exemple le plus cruel de la perfidie antique, était fort belle et extrêmement savante en maléfices. Car, qui que fût son maître, elle connaissait mieux que personne les propriétés des plantes ; et elle savait parfaitement troubler le ciel en chantant une incantation, faire sortir les vents de leurs cavernes, déclencher des tempêtes, figer les fleuves, fabriquer des poisons, soulever des flammes faites pour quelque incendie, et exécuter d'autres actes de ce type.
D/ Relevez les termes latins qui qualifient Médée et ses actes dans le texte.
E/ Quelle image de Médée se dégage de ce texte ?
F/ Sur quels points l'enluminure rejoint-elle le texte de Boccace et en quoi s'en différencie-t-elle ?
2.2.Médée, héroïne épistolaire, à la Renaissance
Le poète latin Ovide, à l'époque d'Auguste (Ier s av. - Ier s. ap. J.-C.), a écrit un recueil de poèmes intitulé les Héroïdes. Des héroïnes de l'Antiquité y écrivent à l'homme qu'elles aiment, et dont elles se sentent souvent abandonnées.
L'Héroïde XII est ainsi une lettre fictive que Médée aurait écrite à Jason au moment où elle apprend qu'il va épouser Créüse. La décision de tuer leurs enfants n'est pas encore venu totalement à sa conscience.
Louise de Savoie a aussi commandité une traduction française des Héroïdes d'Ovide au poète Octovien de Saint-Gelais. Elle a fait illustrer de magnifiques manuscrits de cette traduction. Regardez ci-dessous une enluminure illustrant l'Héroïde XII, réalisée par le peintre parisien Jean Pichore dans les années 1500. Inspectez-la avec votre souris pour lire les explications, puis répondez au quiz.
III. Regards sur Médée dans l'Antiquité
3. 1 La tragédie Médée d'Euripide : fondatrice pour un regard complexe sur l'héroïne
Le poète tragique grec Euripide (Ve s. av. J.-C.) a écrit une pièce sur Médée qui a joué un rôle capital comme source d'inspiration à la fois de représentations figurées et d'autres textes littéraires.
Lisez l'un des passages les plus célèbres de la pièce, le monologue où Médée exprime son déchirement entre le désir passionné de se venger de Jason en tuant ses fils et son amour de mère qui veut leur vie sauve.
K/ Relevez, dans cet extrait, trois passages qui vous semblent particulièrement marquants. Expliquez pourquoi. Quels sentiments vous semblent-ils faire naître chez le spectateur à l'égard de Médée ?
3. 2. La Médée du peintre grec Timomachos
La peinture grecque ne nous est pas connue directement. Mais nous avons des témoignages littéraires à son sujet. Ainsi, par Pline l'Ancien (Histoire naturelle 35) nous savons que Jules César avait fait mettre dans le temple qu'il avait fait bâtir à Vénus Genitrix un tableau de Médée peint par le Grec Timomachos (Ier s. av. J.-C.). Un court poème (épigramme) grec décrit d'ailleurs ce tableau. Il dégageait, semble-t-il, la même complexité tragique que la Médée d'Euripide. Lisez ce court poème :
Τέχνη Τιμομάχου στοργὴν καὶ ζῆλον ἔμιξεν
Μηδείης, τέκνων εἰς μόρον ἑλκομένων.
Τῇ μὲν γὰρ συνένευσεν έπὶ ξίφος, ᾗ δ᾽ἀνανεύει,
σῴζειν καὶ κτείνειν βουλομένη τέκεα.
L'art de Timomachos mêla amour maternel et jalousie chez Médée, alors que ses enfants sont emportés vers leur destin.
Car d'un côté elle a consenti au glaive, de l'autre elle le refuse, voulant tout à la fois sauver et tuer ses petits.
Voici une fresque retrouvée à Pompéi, dans la Maison dite des Dioscures. Elle date du Ier s. ap. J.-C. On pense qu'elle s'inspire de la peinture de Timomachos.

127 x 104 cm, conservée à Naples, Musée national archéologique (Photo M.-L. Nguyen, Wikicommons)
L/ Quels éléments de la fresque pouvez-vous mettre en relation avec le poème grec qui évoque la Médée de Timomachos ?
M/ Observez les différents personnages, leur habillement, leur attitudes (le personnage visible en haut à gauche serait le pédagogue, chargé de surveiller les fils de Médée, lesquels jouent aux osselets). Quelles ressemblances et quelles différences pouvez-vous dégager avec l'enluminure de l'Héroïde XII du XVIe siècle que nous avons regardée plus haut ?
N/ Au total, comment vous apparaît Médée et l'évocation du meurtre de ses enfants dans la fresque pompéienne ?
3.3. La Médée de Sénèque : un « monstre » tragique
Le philosophe et poète tragique Sénèque a écrit, sous le règne de Néron, une tragédie intitulée Médée, qui met en scène une héroïne fort sombre.
Médée, magicienne ténébreuse
Ainsi, dans les vers suivants (740-742), elle invoque les divinités infernales.
Comprecor vulgus silentum uosque ferales deos
et Chaos caecum atque opacam Ditis umbrosi domum,
Tartari ripis ligatos squalidae Mortis specus[...].
En utilisant les aides à la traduction, essayez de traduire ces trois vers. Quelle image de Médée le spectateur en retire-t-il ?
Médée emportée par le furor (passion furieuse) tragique
Voici un deuxième extrait. Médée vient d'envoyer ses enfants porter à Créüse ses présents criminels. Le chœur s'inquiète, quand il voit l'apparence terrifiante de Médée (v. 849-865).
Quonam cruenta maenas
praeceps amore saevo
rapitur ? Quod impotenti
facinus parat furore ?
Vultus citatus ira
riget et caput feroci
quatiens superba motu
regi minatur ultro.
Quis credat exulem ?
Flagrant genae rubentes
pallor fugat ruborem,
nullum vagante forma
servat diu colorem.
Huc pedes et illuc,
ut tigris orba natis
cursu furente lustrat
Gangeticum nemus.
En utilisant les différentes aides à la traduction, essayez de traduire ce texte. Quels termes, quelles comparaisons ou métaphores décrivent Médée ? Quelle image donnent-ils d'elle pour le spectateur ?
IV/ Et aujourd'hui ?
À l'époque contemporaine, écrivains, peintres, cinéastes, metteurs en scène... continuent de s'interroger sur Médée, et d'en proposer des facettes diverses. Cherchez sur internet quelques exemples de cette présence impressionnante de Médée dans la culture des XXe-XXIe siècles.
Et vous, quel est votre regard sur Médée ? Créez votre propre affiche sur ce personnage et partagez-la sur le site Imago.

Lycée Stéphane Hessel de Toulouse, juin 2022