
A la découverte de la littérature néo-latine
1. Les humanistes : les premiers auteurs « néo-latins »
Pour découvrir quatre grands humanistes, regardez les portraits qui figurent ci-dessous. Lisez quelques indications biographiques correspondants à ces quatre auteurs, extraites des notices du Petit Robert. Puis essayez de répondre aux questions suivantes.
- D’après les dates de naissance et de mort de ces écrivains, à quelle époque historique ont-ils vécu ?
- Que pouvez-vous constater concernant leurs pays d'origine et les pays où ils ont passé leur vie ?
- En quelle(s) langue(s) ont-ils écrit ?
- Quel centre d'intérêt les rapproche ?




Pétrarque. Poète et humaniste italien (Arezzo, 1304 - près de Padoue, 1374). Il suivit sa famille, exilée, à Avignon (1312) et fréquenta l'université de Montpellier avant de poursuivre des études juridiques à Bologne. C'est en 1327, de retour en Avignon, qu'il rencontra Laure de Noves pour laquelle il ressentit une grande passion, sublimée à la mort de la jeune femme. Dès lors, il mena une vie animée, où les voyages alternent avec les méditations solitaires (De Vita solitaria, 1356), les amours avec les recherches érudites. En effet, grand admirateur de Cicéron, de Sénèque et de Virgile, Pétrarque fut animé d'une véritable fascination pour l'Antiquité et, outre une remarquable activité d'humaniste, écrivit de nombreuses œuvres en latin, dont ses Lettres et l'Africa. [..] Si Pétrarque fut avant tout, pour ses contemporains, le restaurateur des lettres latines, pour les modernes, sa gloire resta attachée au recueil de ses poèmes italiens, le Canzoniere (imprimé en 1470) qui groupe les Rimes (Rime) et Les Triomphes (I trionfi), pièces allégoriques et morales.
Pogge (Gian Francesco Poggio Bracciolini, connu en fr. sous le nom de Le Pogge). Écrivain italien (Terranuova, 1380 - Florence, 1459). Humaniste passionné par l'Antiquité gréco-romaine, il mit à profit sa charge de secrétaire de la curie romaine (il accompagna notamment le pape Jean XXIII au concile de Constance, 1414-1418) pour rechercher des manuscrits dans les couvents français, suisses et allemands, puis anglais (1418) qu'il visita (découvrant des œuvres de Quintilien, Stace, Lucrèce, Columelle, Cicéron...). En plus d'une vaste correspondance, il est l'auteur d'une œuvre abondante, entièrement écrite en un latin souple et vivant : Histoire de Florence (Historia florentina), de 1350 à 1455, des Descriptions des bains de Bade (I Bagni di Baden, 1415) pleines de vivacité et fort réalistes, et surtout, un recueil d'anecdotes divertissantes, voire licencieuses, les Facéties (Liber Facetiarum, 1438-1452) qui furent appréciées dans toute l'Europe.
Érasme (Didier, en lat. Desiderius Erasmus). Humaniste hollandais (Rotterdam, vers 1469 - Bâle, 1536). Fils naturel, il entra au couvent des Augustins de Steyn (près de Gouda) où il prononça ses vœux (dont il fut dispensé par Jules II) et fut ordonné prêtre. Il poursuivit ses études au collège Montaigu à Paris. Devenu précepteur, il se rendit en Angleterre où il rencontra John Colet dont il suivit les cours de théologie et se lia d'amitié avec Thomas More. L'histoire de sa vie n'est ensuite que celle de ses voyages et de ses œuvres. Entre 1500 et 1506, il écrivit les Adages (Adagia) et le Manuel du chevalier chrétien (Enchiridion militis christiani). Lors de son séjour en Italie (1506-1509), il fréquenta l'imprimeur vénitien Alde Manuce et apprit le grec, qu'il enseigna ensuite à Cambridge. C'est à cette époque qu'il composa l'Éloge de la Folie (dédié à Thomas More). Aux Pays-Bas, où il fut un temps conseiller du futur Charles Quint, il écrivit pour lui l'Institution du prince chrétien (Institutio principis christiani) et publia également son Novum Testamentum et la première édition des Colloques (Colloquia). En 1521, il s'établit à Bâle où, dans la période de conflits religieux entre catholiques et protestants, il écrivit Essai sur le libre arbitre, où il prit position contre la doctrine de la prédestination [...]. Cet humaniste dont la pensée est faite de mesure et de prudence chercha à concilier l'étude des Anciens et les enseignements de l'Évangile.
More (saint Thomas, en latin Morus). Homme politique et humaniste anglais (Londres, 1478 - 1535). Il étudia à Oxford et devint homme de loi. Dans l'opposition sous Henri VII, il eut une brillante carrière politique sous Henri VIII ; après avoir été ambassadeur extraordinaire et chancelier du duché de Lancaster, il fut nommé à la chancellerie du royaume. Resté catholique, tout en préconisant une réforme de l'Église, il désapprouva le divorce d'Henri VIII, fut emprisonné et exécuté. Humaniste, il était l'ami d'Érasme avec qui il traduisit certains Dialogues de Lucien. Mais il est surtout connu comme l'auteur de L'Utopie (Utopia) qui eut un grand succès en Europe. Il a également écrit des traités polémiques et des poésies en latin.
Le latin n’a jamais disparu du monde occidental, comme langue de communication et de culture. On n’a pas cessé de lire Cicéron, Virgile ou Sénèque au Moyen Âge. Et pourtant…
On ne s’intéresse pratiquement plus aux monnaies, aux ruines, aux inscriptions antiques pendant la période médiévale. Beaucoup d’auteurs et d’œuvres de l’Antiquité romaine ne sont plus lus. La langue latine est certes utilisée dans la liturgie de l’Église catholique, les actes juridiques et politiques ou encore l’enseignement. Mais le « latin médiéval » a des particularités qui l’éloignent du latin classique.
Ce que l’on appelle aujourd’hui le « néo-latin » est né avec l’humanisme. Ce mouvement culturel se caractérise par un intérêt multiple pour l’Antiquité et la culture classique. Il débute en Italie, avec trois précurseurs au XIVe siècle : Dante, Boccace et Pétrarque, qui ont écrit en italien et en latin. Le mouvement humaniste se développe dans de nombreuses villes italiennes au Quattocento (XVe siècle) : Florence, Rome, Naples, Ferrare, Venise... Dès la deuxième moitié du XVe siècle et plus encore au XVIe siècle, l’humanisme gagne toute l’Europe : Espagne, Portugal, France, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne, mais aussi l’Europe orientale avec des cours brillantes comme la Hongrie, la Pologne ou encore à Prague.
L’imprimerie joue un rôle important, à partir de la fin du XVe siècle, pour la diffusion de la culture humaniste et de la littérature néo-latine.
2. Le « latin humaniste »

- La page de titre s'ouvre avec le nom de l'auteur au génitif (prénom en capitales droites, nom en capitales italiques). De qui s'agit-il (la forme latinisée, au nominatif, doit vous permettre de retrouver sur internet la forme italienne plus courante) ?
- Vous avez ensuite, en capitales plus petites et droites, le titre de l'ouvrage. Essayez de le traduire.
- Quel peut être le contenu d’un tel ouvrage à votre avis ?
La redécouverte de l’Antiquité à la Renaissance commence par une « reconquête » volontaire de la langue et de la littérature latine classique. Les premiers humanistes critiquent très fortement la culture universitaire de la fin du Moyen Âge (la scolastique). Ils reprochent aux représentants de la scolastique de privilégier certaines disciplines – en particulier la logique et la philosophie aristotélicienne – et de négliger complètement l’acquisition d’un latin élégant, la lecture des grandes œuvres classiques, la rhétorique (l’art de bien parler), la poésie, les sciences (en particulier le quadrivium, c'est-à-dire les quatre disciplines scientifiques comprises traditionnellement dans parmi les sept arts libéraux : arithmétique, géométrie, musique, astronomie) ou encore le grec. Le latin scolastique, aux dires des humanistes, est « barbare ». Pour pouvoir redécouvrir le monde antique dans toute sa richesse, il faut « purifier » le latin des tournures médiévales qui y ont été introduites, maîtriser un lexique et une syntaxe riches, puiser des modèles dans un corpus classique élargi. Il s’agit, en définitive, d’être capable de lire, mais aussi de parler et d’écrire un latin digne des Anciens, pour s’approprier leur excellence intellectuelle, mais aussi morale.
3. « Restituer » l’Antiquité


- D'après les deux ouvrages que vous pouvez-voir ci-dessus, quelles langues les humanistes veulent-ils plus particulièrement « restituer » ?
Les humanistes veulent « restituer » l’Antiquité, c’est-à-dire tout à la fois la retrouver, lui rendre son éclat originel que la « barbarie médiévale » aurait terni, lui redonner vie. Ils étudient l’Antiquité sous toutes ses formes : les vestiges antiques, les inscriptions latines, les monnaies, l’histoire ancienne, la vie économique des Anciens…

Ils partent en quête des œuvres antiques oubliées dont les manuscrits reposent dans les bibliothèques « médiévales ». Certains humanistes cherchent à améliorer les textes sortis de l’oubli, en comparant les manuscrits, en opérant des corrections, afin de proposer des éditions meilleures que l’imprimerie permettra de diffuser dans l’Europe entière au XVIe siècle.
La langue dite « néo-latine » (elle a été baptisée ainsi par la suite pour la différencier à la fois du latin classique et du latin médiéval) est la langue d’écriture et de pensée privilégiée des humanistes. Mais ils voudraient, idéalement, que l’on forme des hommes « trilingues », capables de maîtriser à la fois le latin, le grec et l’hébreu. Les auteurs néo-latins ont d’ailleurs joué un rôle important dans la diffusion de l’Antiquité grecque via le latin : ils traduisent ainsi du grec au latin (Marsile Ficin, par exemple, traduit Platon, Érasme, des œuvres d’Euripide ou de Lucien). Ils explorent et commentent la langue grecque en latin (comme Guillaume Budé).
Quant à l’hébreu, le XVIe siècle voit les prémices d’un intérêt chez les chrétiens pour les écrits et la langue hébraïque, mais les études bibliques et hébraïques restent rares à la Renaissance.
4. En définitive pourquoi écrit-on latin dans l’Europe humaniste ?
- Pour explorer, ordonner, faire connaître et transmettre de multiples facettes de l’Antiquité.
- Pour communiquer entre lettrés, élaborer et transmettre un savoir entre érudits, demander et donner des informations, prendre parti dans des débats intellectuels, des conflits religieux ou politiques. Se faire connaître et reconnaître comme membre d’une même « république des lettres » européenne.
- Pour dépasser les frontières linguistiques. Le latin reste une langue internationale. Mais ce choix exclut en revanche d’autres publics (les publics de cour, la plupart des femmes, les artisans…). La traduction en langue vernaculaire permet de « vulgariser » certaines œuvres humanistes écrites en latin.
- Pour écrire et créer de la littérature : de la poésie, des fictions, du théâtre, des réflexions philosophiques, des historiettes, des nouvelles… Toute une Europe savante – en très grande majorité masculine – écrit et lit en latin.
Mais la Renaissance est aussi une grande période de développement des langues nationales.

5. Le « néo-latin » est-il une langue spécifique ?
L’existence d’un terme spécifique peut donner l’impression d’une langue qui serait particulière, différente du latin classique. Ce n’est pas le cas en réalité : le latiniste familier des auteurs classiques sera en terrain de connaissance chez les auteurs « néo-latins ». En effet, ces auteurs, dans l’ensemble, veulent retrouver la « pureté » et l’élégance des Anciens, qu’ils prennent donc pour modèles. Certains auteurs prennent un modèle exclusif – c’est le cas des « Cicéroniens » dont se moque Érasme dans son dialogue Ciceronianus (1528) –, d’autres recourent à plusieurs modèles à la fois. Certains puisent leur bien partout où ils le trouvent, sans exclure aucune époque. Beaucoup d’auteurs néo-latins s’autorisent des néologismes, soit pour désigner des réalités inconnues de l’Antiquité (les canoës des Indiens du Nouveau Monde sont appelés canoae , et Paolo Giovo désigne les canons à poudre, invention nouvelle utilisée par les armées modernes, par le terme canones), soit pour la valeur esthétique des composés ainsi inventés. Enfin, on peut relever parfois des interférences entre le latin et la langue maternelle de l’auteur, dans le lexique utilisé, voire dans certaines tournures syntaxiques.
6. Des genres littéraires et des œuvres très variés




Il reste encore beaucoup d'écrits néo-latins à éditer et à traduire. De nombreuses publications stimulantes ont vu le jour ces dernières décennies.
- À votre avis, parmi ces œuvres, lesquelles redonnent vie à un genre littéraire antique ?
- Lesquelles, au contraire, n’ont pas vraiment de modèles parmi les œuvres latines de l’Antiquité classique ?
Les humanistes publient de nombreuses œuvres pour faire redécouvrir l’Antiquité : manuels de latin (en latin), commentaires d’auteurs classiques (également en latin), traductions du grec au latin…
Mais ils développent aussi des genres littéraires comme le dialogue et la lettre, inspirés de l’Antiquité, plus littéraires que les traités ou les sommes scolastiques, avec le désir d’instruire et de plaire. Ils aiment aussi les œuvres qui proposent une forme de « jeu sérieux », comme l’éloge paradoxal dont l’Éloge de la Folie d’Érasme est l’exemple par excellence : à la fantaisie débridée apparente s’allie en réalité la critique sérieuse et érudite.
Les humanistes revivifient de nombreux genres antiques en puisant leur inspiration chez les auteurs antiques : épopée, tragédie, comédie, élégie, écriture de l’histoire, rhétorique, épistolaire… Ils constituent des maillons importants de la transmission des genres littéraires antiques aux écrivains de l’époque moderne. Les auteurs néo-latins de la Renaissance inventent aussi d’autres genres, stimulés en particulier, à partir de la fin du XVe siècle comme les recueils d’emblèmes, qui associent étroitement poèmes et gravures.
Le latin est encore et toujours langue du savoir : on écrit aussi en latin sur la géographie, les plantes, les animaux, les maladies ou les monstres... L’humaniste peut être aussi un naturaliste ou un ethnographe avant la lettre.
7. Que devient le néo-latin après la Renaissance ?
L’humanisme est aujourd’hui considéré comme un mouvement de longue durée. Ses prémices se situent au XIV esiècle. Les historiens le font aller jusqu’à la fin du XVIe siècle, voire jusque vers 1630. Et de fait, certains auteurs qui écrivent en latin au XVIIe siècle sont largement héritiers des corpus et des méthodes humanistes. Néanmoins, la part prise par les langues vernaculaires est encore plus grande à partir du XVIIe siècle. La littérature néo-latine devient beaucoup plus marginale. Au XIXe siècle encore, certains écrivains, formés aux « Humanités » (le latin et le grec), se sont d’ailleurs essayés à écrire en latin, soit au cours de leur jeunesse à titre d’exercices scolaires (Hugo, Baudelaire), soit par choix esthétique, voire politique, de composer en latin. Aujourd’hui, la pratique du « néo-latin » dans des œuvres littéraires est exceptionnelle. Plus répandu, le « latin vivant » (à la radio, dans des cercles de conversation, pour enseigner ou communiquer) fait l’objet d’un choix délibéré de la part de certains promoteurs de l’Antiquité. Cherchant à faire lire, parler, voire écrire leurs élèves en latin, en s’aidant notamment de supports visuels et en oralisant le latin, ils renouvellent, d’une certaine manière, les exercices pédagogiques que les humanistes proposaient à leurs élèves.
8. Quiz
Voici un petit quiz pour vous permettre de voir si vous avez retenu l'essentiel.